CHAPITRE VI

Chaque matin Farnelle se rendait dans la grande salle des navettes et contemplait celle qui était miraculeusement arrivée le jour où Ann Suba avait fait surgir les deux rails lumineux de la Voie Oblique. Il y avait soixante-huit heures de cela et la navette avait atterri sans qu’elles s’en rendent compte. Il y avait maintenant deux jours.

— Tu es toujours là, murmura-t-elle, admirative.

Et soudain il y eut un frémissement sourd et elle recula effrayée, appela d’une voix étranglée son amie Ann Suba, se souvint que celle-ci dormait dans la locomotive géante à la suite d’un léger malaise qui l’avait prise la veille.

La navette glissait lentement sur le sol et d’un coup la Voie Oblique surgissait du néant et les portes s’ouvraient sur la mer intérieure. Elle ferma les yeux quand le bruit devint intolérable, se boucha les oreilles de ses mains. Quand elle osa les ôter et ouvrir les yeux, la navette avait disparu et les grandes portes se refermaient lentement sans le moindre grincement.

Elle se précipita au-dehors où stationnait la locomotive, grimpa à l’intérieur, bouscula Gdami qui se levait et mangeait une tartine de confiture. Elle courut jusqu’à la chambre d’Ann, la trouva dans un bain d’eau mousseuse.

— Elle est partie, haleta-t-elle. La navette vient de partir.

— J’ai noté un léger tremblement, dit Ann Suba en se levant pour attraper son peignoir.

Farnelle lui tourna le dos, gênée par sa nudité.

— Que va-t-il se produire ?

— En principe une autre navette devrait arriver d’ici quelques heures, si mes prévisions sont exactes.

— Une navette vide ?

Achevant de nouer sa ceinture, Ann Suba s’approcha de Farnelle et posa sa main sur son épaule :

— Vous attendez qui ?

— Personne… Mais j’espère… Je ne connais aucun de ces trois personnages dont m’a parlé Yeuse : Lien Rag, Kurts et ce Gus. Mais pourtant j’aimerais les voir arriver de là-haut.

— Le système des navettes a eu des ratés assez prolongés depuis pas mal de temps.

— Gus a disparu depuis quatre années, dit Farnelle.

— L’interruption du trafic peut remonter à cette date effectivement, mais j’en ignore les véritables raisons.

Elle passa dans la chambre, revêtit sa combinaison. L’une et l’autre préféraient s’habiller ainsi pour éviter toute surprise désagréable si une chute de la température, que ce soit dans le bâtiment ou la locomotive, intervenait.

Gdami était déjà dehors, auprès de la rive de la mer à taquiner les éléphants qui se traînaient mollement sur la plage artificielle. Elles pouvaient l’apercevoir depuis les hublots de la cuisine où Ann prenait son petit déjeuner.

— Un jour il se fera écraser par leur énorme masse. Certains doivent atteindre les dix tonnes.

Gdami n’avait peur de rien et grimpait sur le dos des gros mâles qui essayaient de se laisser glisser dans l’eau pour se débarrasser de lui. Ils devaient plonger pour y parvenir et Gdami rejoignait la plage à la nage.

— C’est un merveilleux enfant, murmura Ann Suba. Vous avez bien de la chance de l’avoir.

— Il m’effraye par sa vitalité et sa témérité. Je pense toujours à ces trois hommes qui pourraient revenir… Ils ne comprendront pas ce que nous fichons là…

— Trois hommes qui depuis des années vivent dans un satellite… Sans présence féminine ? murmura Ann Suba avec un sourire ambigu. Est-ce bien raisonnable de guetter leur retour ?

— Vous plaisantez ? Ce sont des types corrects, d’après Yeuse.

— Même ce Kurts le pirate ? On a raconté sur lui des histoires assez étranges dans le temps, lorsqu’il ravageait la planète tout entière, et les objets que l’on trouve dans cette locomotive sont les fruits de pillages et de rapines. J’ai vu aussi une belle collection de photographies érotiques prises ici même, j’ai reconnu le décor… Cela ne vous gêne pas, Farnelle ?

— Je suis venue pour Yeuse.

— Que n’abandonne-t-elle pas cette présidence trop lourde pour elle ? Depuis que personnellement j’ai quitté la colonie des Échafaudages je me sens plus libre.

Parfois Farnelle ne comprenait pas sa compagne qui passait d’un langage très scientifique, très difficile à saisir, à des banalités surprenantes qui trahissaient un grand déséquilibre personnel. Cette femme avait toujours vécu dans le même milieu, ignorait tout des autres humains. Cette pensée la tracassait si fort qu’un peu plus tard elle lui demanda des détails sur sa vie, et ne fut pas surprise qu’Ann Suba n’ait pas connu autre chose que le milieu scientifique et surtout rénovateur.

— Mes parents étaient des physiciens qui faisaient des recherches sur les poussières et leur comportement dans le vide. Ils faisaient partie d’un groupe très strict qui chaque semaine se réunissait pour étudier non seulement l’astronomie, mais l’histoire et la géographie archaïques, ces matières d’avant la Grande Panique. Plus tard j’ai rencontré mon futur mari, Greog, puis les Ker, Julius et Ma… Et nous avons quitté la Panaméricaine pour recréer une petite colonie sur la banquise du Pacifique à Point Jarvis. Une colonie scientifique, bien sûr. Nous avions de gros espoirs mais la première expérience sur les poussières a été catastrophique pour la population de la banquise…

— Mais en Panaméricaine, quand vous étiez jeune, vous sortiez, vous profitiez de certains amusements ? Vos parents pouvaient vous payer ça, non ?

— Ils étaient très austères… Le Soleil était une religion pour eux. Ce n’étaient pas des Rénovateurs mystiques, mais pourtant par certains côtés ils ne manquaient pas de fanatisme.

— Vous étiez traqués ?

— Pas encore, pas du temps de mon enfance, mais dès que j’ai commencé mes études supérieures, je sentais qu’on me surveillait.

— Les Aiguilleurs ?

— Un peu tout le monde, y compris les professeurs qui ne croyaient pas que le Soleil puisse réapparaître un jour. Quand nous avons rejoint les Ker la situation est devenue vite difficile. Nous avions déjà essayé de vivre sur la banquise occidentale panaméricaine, mais on nous surveillait toujours, et quand nous avons su que la Compagnie de la Banquise était en formation et se montrait très accueillante avec les nouveaux venus nous n’avons plus hésité.

Farnelle regardait Gdami qui poursuivait un jeune éléphanteau qui d’ailleurs paraissait jouer avec lui.

— Est-ce que nous verrons arriver la prochaine navette ? demanda-t-elle.

— Certainement. Si nous surveillons un peu la grande soute. Voulez-vous que nous y allions ?

 

L'aube cruelle d'un temps nouveau
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